Un déplacement stratégique vers Paris est un atout pour l'ANASE, surtout si la France aspire à un Partenariat de Dialogue
Lorsque le Premier ministre Datuk Seri Anwar Ibrahim effectuera une visite stratégique en France le 2 juillet 2025, il ne se contentera pas de faire de la diplomatie bilatérale. Il orchestre un mouvement calibré qui reflète l'élargissement de la toile géopolitique de l'ANASE, qui s'étend plus loin dans les océans Indien et Pacifique, où la France reste une puissance indo-pacifique redoutable, bien que souvent sous-estimée. Il ne s'agit pas seulement d'une décision dans l'intérêt national de la Malaisie ; il s'agit surtout d'un plus pour l'ANASE à un moment charnière de l'histoire de la région.
La France est souvent considérée à tort comme une puissance purement européenne. En réalité, c'est un acteur mondial qui possède la plus grande zone économique exclusive (ZEE) du monde - plus de 11 millions de kilomètres carrés - grâce à ses territoires d'outre-mer dispersés dans les océans Indien et Pacifique. De l'île de la Réunion, dans le sud-ouest de l'océan Indien, à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, dans le Pacifique, la France maintient une présence maritime tentaculaire qui lui confère un énorme pouvoir stratégique dans ces deux régions océaniques. Ces territoires ne sont pas simplement des vestiges d'un passé colonial, mais font partie intégrante de la doctrine stratégique de la France au XXIe siècle, en particulier sous la présidence d'Emmanuel Macron.
Le président Macron a souligné à plusieurs reprises la vision indo-pacifique de la France. En juin 2025, il a été l'orateur principal du dialogue Shangri-La à Singapour, un geste rare et fort qui souligne l'engagement de la France dans la région indo-pacifique. Anwar a également été l'un des principaux orateurs du dialogue Shangri-La. Anwar et Macron se sont déjà rencontrés une fois à Singapour. À un moment où les relations entre la Malaisie et Singapour sont en plein essor.
Quoi qu'il en soit, les remarques de Macron étaient audacieuses, reflétant une France qui cherche à s'affranchir de la rivalité entre les États-Unis et la Chine tout en affirmant ses enjeux militaires et diplomatiques dans la région. Rien que cette année, Macron a rencontré le président vietnamien Tô Lâm et le président indonésien Prabowo Subianto - à la fois avant et après le dernier sommet de l'ANASE - signalant un pivot français soutenu vers l'Asie du Sud-Est. La France a également approfondi sa coopération en matière de défense, de nucléaire et de technologie avec ces deux pays.
La stratégie française dans l'Indo-Pacifique s'inscrit parfaitement dans la trajectoire évolutive de l'ANASE. Alors que le Timor-Leste est sur le point de devenir le 11e membre de l'ANASE d'ici octobre 2025, la portée géographique de l'ANASE inclura bientôt l'océan Pacifique pour la première fois.
Cette expansion représente non seulement une redéfinition symbolique du champ d'action de l'ANASE, mais aussi une réalité géopolitique concrète : L'ANASE est désormais tournée vers le Pacifique, où la France conserve d'importants enjeux stratégiques. Dans ce contexte, l'engagement du Premier ministre Anwar Ibrahim auprès de la France s'inscrit dans le cadre de l'évolution institutionnelle de l'ANASE et de la dynamique de la sécurité régionale.
La France est actuellement un partenaire de développement de l'ANASE. Bien que cette désignation ait ses mérites - offrir une coopération économique et technique - elle n'est plus suffisante face aux complexités géopolitiques croissantes. La France est le seul membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies qui n'a pas encore accédé au statut de partenaire stratégique global (CSP) de l'ANASE. La Chine, la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni ont tous atteint ce niveau de reconnaissance stratégique, ce qui leur permet d'exercer une plus grande influence sur les relations extérieures de l'ANASE et sur la diplomatie régionale. Il est temps que la France entre dans ce cercle.
La logique de l'élévation de la France est convaincante. Tout d'abord, la France apporte des capacités maritimes tangibles à l'Indo-Pacifique, notamment des déploiements navals et une présence militaire permanente dans la région.
Ces atouts sont essentiels à une époque où la liberté de navigation, la sécurité maritime et les opérations de lutte contre la piraterie sont des préoccupations majeures pour l'Asie du Sud-Est, en particulier en mer de Chine méridionale et sur le théâtre de plus en plus tendu du Pacifique. La France a participé à des patrouilles et à des exercices conjoints avec les États membres de l'ANASE et pourrait offrir un partenaire de sécurité alternatif à une époque de polarisation entre les États-Unis et la Chine.
Deuxièmement, les prouesses technologiques et en matière d'énergie verte de la France s'alignent sur les domaines prioritaires de l'ASEAN.
Alors que la région s'oriente vers la durabilité et la transformation numérique, l'expertise française en matière d'énergie nucléaire, de technologies renouvelables, d'innovation spatiale et d'intelligence artificielle devient très pertinente.
La visite du Premier ministre Anwar à Paris - qui devrait inclure des dialogues avec des entreprises françaises clés dans les domaines de l'énergie et de la technologie - devrait être mise à profit pour établir des cadres sectoriels pour la coopération à l'échelle de l'ANASE. Les investissements de la France dans les trains à grande vitesse, les villes intelligentes et les infrastructures numériques pourraient servir de modèles pour l'intégration régionale.
Troisièmement, la position diplomatique de la France, souvent axée sur l'autonomie stratégique, est en accord avec la doctrine de neutralité et de non-alignement de l'ANASE. La France ne cherche pas à imposer une mentalité de bloc.
De même que la Chine est opposée à toute politique de bloc qui rappellerait la guerre froide. Un point de vue que la Corée du Sud et le Japon peuvent prendre au sérieux à condition que leurs relations avec Pékin continuent de s'améliorer sur le plan commercial afin de réduire les tensions en mer de Chine orientale.
Le voyage d'Anwar en France est donc judicieux d'un point de vue géopolitique et géoéconomique pour toutes les parties.
Le professeur Ruhanas Harun, qui a été formé à la Sorbonne et à Sciences Po, est l'une des meilleures autorités sur la France.
Elle est basée à l'Université de défense nationale de Malaisie, tandis que le professeur David Camroux à Sciences Po n'est pas moins familier des questions relatives à l'ANASE et à l'Indo-Pacifique. Ces deux personnes forment un formidable canal de la voie 2.
Elle soutient plutôt le multilatéralisme, le droit international et le dialogue inclusif. Cela reflète l'approche de l'ANASE en matière de gestion des conflits et de stabilité régionale. En ce sens, la France est un partenaire naturel pour renforcer la centralité de l'ANASE et soutenir les perspectives de l'ANASE sur l'Indo-Pacifique (AOIP).
Le Forum régional de l'ASEAN (ARF) se tiendra à Kuala Lumpur du 9 au 11 juillet 2025. L'ARF reste l'une des rares plateformes où l'ASEAN engage toutes les grandes puissances - y compris les États-Unis, la Chine, la Russie et l'UE - sur des questions stratégiques allant des menaces de sécurité non traditionnelles à la gouvernance maritime. Le partenariat renforcé de la France permettrait non seulement de renforcer la résilience de l'ANASE, mais aussi de rééquilibrer la dynamique du forum en y ajoutant une voix européenne profondément ancrée dans l'Indo-Pacifique.
Les sceptiques diront peut-être que la portée géopolitique de la France est exagérée ou que la cohésion interne de l'ANASE est trop fragile pour absorber un autre partenaire extérieur majeur. Mais ce sont précisément les raisons pour lesquelles il faut agir maintenant. En accordant à la France le statut de partenaire stratégique global, l'ANASE renforce son arsenal diplomatique et diversifie ses partenariats stratégiques au-delà de la rivalité binaire entre grandes puissances. Pour la France, c'est l'occasion d'institutionnaliser son engagement en Asie du Sud-Est, non seulement par des gestes militaires ou des visites présidentielles, mais aussi par des mécanismes formels de dialogue, de coopération et de respect mutuel.
De plus, alors que l'ASEAN explore la création de coalitions minilatérales et de liens institutionnels flexibles - à travers l'ASEAN Maritime Outlook, l'ASEAN Digital Economic Framework Agreement (DEFA), et l'Asia Zero Emissions Community (AZEC) - la participation de la France peut être transformatrice. L'AZEC est sur le point d'organiser un sommet à Kuala Lumpur, en Malaisie, à la fin du mois de septembre 2025, et la Malaisie, en tant que président du groupe de l'ANASE, en serait également le co-hôte. Il y a une synergie sur l'ensemble du territoire français et pas nécessairement une exclusion de la Chine, bien que la Chine doive en temps voulu envisager la manière de rejoindre l'AZEC.
L'initiative d'Anwar Ibrahim permettrait à l'ANASE de trianguler ses relations avec l'Europe et l'Indo-Pacifique sans être piégée dans des jeux géopolitiques à somme nulle.
La diplomatie d'Anwar Ibrahim avec la France n'est donc pas épisodique mais structurelle. Elle reflète une refonte à long terme du rôle de la Malaisie en tant que bâtisseur de ponts et rassembleur au sein de l'ANASE. Elle souligne également la capacité de la Malaisie à faire entrer des acteurs sous-estimés, tels que la France, dans le courant principal de la pensée stratégique de l'Asie du Sud-Est. Pour que la stratégie indo-pacifique de la France soit crédible, elle doit passer par l'ANASE. Et si l'ANASE doit devenir un acteur régional véritablement mondial, elle doit accueillir des partenaires comme la France en leur accordant une reconnaissance stratégique totale.
En résumé, le pivot stratégique vers Paris n'est pas une simple diplomatie bilatérale, c'est une politique régionale. Il s'agit pour l'ANASE de penser au-delà des limites continentales et de s'intéresser aux vastes domaines maritimes qui définissent l'avenir de la politique mondiale. L'accession de la France au statut de partenaire stratégique global n'est pas un saut, c'est un alignement qui s'imposait depuis longtemps. Le Premier ministre Anwar Ibrahim est simplement le premier à s'en rendre compte et à agir. Les autres membres de l'ANASE devraient suivre.
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Source : Awani International - A strategic Move to Paris is a plus for ASEAN especially if France aspires for dialogue partnership | AWANI International